LAETHEM-SAINT-MARTIN

LAETHEM-SAINT-MARTIN
LAETHEM-SAINT-MARTIN

Laethem-Saint-Martin (Sint-Martens-Latem) est un village belge situé en Flandre, en bordure de la Lys, à huit kilomètres de Gand. Entre 1898 et 1913, ce village fut non seulement la résidence successive de deux générations d’artistes, mais une halte décisive pour leur formation et leur évolution et, par là, un lieu véritablement privilégié sur le parcours qui, en Belgique, va du symbolisme à l’expressionnisme. Au «premier groupe de Laethem» appartiennent le sculpteur et dessinateur George Minne (Gand, 1866 - Laethem, 1941), les peintres Valerius De Saedeleer (Alost, 1867 - Leupegem, 1941), Gustave Van de Woestijne (Gand, 1881 - Bruxelles, 1947) et Albert Servaes (Gand, 1883 Lucerne, 1966). Leur œuvre baigne dans un climat mystique. Leur style antinaturaliste, en quête de concision et de synthèse, leur penchant allégorique au service de la plus pure spiritualité les rattachent au courant du symbolisme international dont ils illustrent la deuxième vague. Constant Permeke (Anvers, 1886 - Ostende, 1952), Gustave de Smet (Gand, 1877 - Deurle-sur-Lys, 1943), Frits Van den Berghe (Gand, 1883-1939) forment le «noyau» du «second groupe de Laethem». À l’époque de leur séjour assez bref en ce village, ces artistes cherchent leur voie à travers un luminisme attardé et les premiers tâtonnements d’un expressionnisme encore imprégné de symbolisme. C’est après la crise morale infligée par la guerre et les années d’exil qu’ils atteindront la maturité plastique; leur unité foncière se révélera alors à travers les traits propres à l’expressionnisme flamand dont ils deviendront les figures de proue. Le terme «école de Laethem» est donc inexact, et c’est à tort qu’on l’utilise pour désigner l’expressionnisme flamand. D’ailleurs, le pays de la Lys, réputé pour sa lumière irisée, a attiré de nombreux artistes tout à fait étrangers aux deux groupes, notamment Émile Claus (Vive-Saint-Éloi, 1849 Astene-sur-Lys, 1924), chef de file du luminisme post-impressionniste en Belgique. Art d’épanchement lyrique et sensuel très éloigné de l’esprit de synthèse du premier groupe, comme de la monumentalité fruste du deuxième groupe. Ce n’est donc pas seulement le village de Laethem, mais toute la région qui féconda le langage des peintres, apportant à chacun sa provende. Il n’en demeure pas moins que le caractère rustique des peintres du deuxième groupe, leur manière d’accéder à l’universel à travers le régionalisme, l’importance des relations entre l’homme et la nature, l’insertion des personnages dans un paysage typiquement flamand portent la marque de Laethem. Le nom de ce village est devenu comme le symbole de l’âme flamande.

1. Le premier groupe de Laethem

Quand George Minne s’installe à Laethem, en 1899, il jouit déjà d’une certaine notoriété. Depuis 1886, il est l’ami de Maeterlinck avec lequel il se trouve en étroite communion d’âme et dont il a illustré des œuvres, il s’est lié avec d’autres poètes symbolistes; il a exposé à Paris où il fut membre du cercle d’avant-garde, le «groupe des Vingt». Des thèmes quasi obsessionnels le retiennent sa vie durant: L’Agenouillé , grêle adolescent soutenant à grand-peine un fardeau qui semble être le symbole du destin; La Mère et l’enfant , que ce soit l’image de la mère pleurant son enfant mort ou l’épisode tragique de la Vierge étreignant le corps sans vie du Christ. Par son ami, l’architecte Henri Van de Velde, Minne a des admirateurs en Allemagne. Il exposera régulièrement à Berlin, à Munich, à la sécession de Vienne. La morphologie de L’Agenouillé , cette «chrysalide humaine», à propos de laquelle on a évoqué L’Enfant prodigue de Rodin, que l’on pourrait aussi rapprocher de L’Agenouillé de Charles Filiger (ou Filliger), marquera la statuaire allemande à travers Wilhelm Lehmbruck. Son œuvre la plus intéressante est La Fontaine aux agenouillés (en marbre, au musée d’Essen, en bronze, dans la cour d’honneur de la Chambre des représentants à Bruxelles, et sur la place publique de Gand), baptisée «la fontaine Narcisse» par le poète Karel Van de Woestijne. En 1907, Minne se fait construire à Laethem une maison qu’il quittera peu. Pendant la Première Guerre mondiale, trois de ses fils étant mobilisés, il se réfugie au pays de Galles, où il sera proche voisin de Van de Woestijne et de Valerius De Saedeleer. Jusqu’en 1921, il se voue au dessin, technique plus souple que la sculpture pour «enregistrer les infinies modulations d’un tourment certes unique, mais qui varie sans cesse» (P. Haesaerts). Cet art douloureux est le fait d’un introverti cultivant anxieusement sa vie intérieure. Malgré l’étroitesse de la veine d’inspiration, il n’y a ni académisme ni système dans son œuvre, mais une fidélité fervente envers des attitudes et des figures porteuses d’un message dont il importe de dégager toujours davantage la spiritualité. Haesaerts a insisté sur l’originalité d’une œuvre qui se détache de la statuaire d’esprit post-romantique et de facture réaliste alors en honneur. Son signe distinctif est la crainte de l’espace, le repliement, «attitude constante et foncière qui marque autant le sujet que l’agencement des volumes».

De Saedeleer est comme un livre ouvert pour qui veut apprendre à connaître la Flandre. Depuis Termonde, son point de départ, jusqu’à la région d’Audenarde, son point d’arrivée, il a fait maintes haltes au bord de l’Escaut, de la Lys et en Flandre méridionale. Après deux séjours à Laethem, en 1893 et 1898, il s’y établit, de 1904 à 1908. Après la guerre, passée au pays de Galles, il s’installe à Etichove, où il met sur pied pour ses filles un atelier de tissage d’art. Le pays de la Lys transforme durablement sa vision, amenant ce paysagiste, ancien disciple de Franz Courtens qui pratiquait une peinture réaliste et grasse, à une vision panoramique et synthétique de la nature, servie par une facture de calligraphe, une matière mince, appliquée en glacis. C’est à Laethem, en 1904, qu’il trouve ce langage, toute son œuvre antérieure devenant sans valeur à ses yeux. Avec W. Degouve de Nuncques et L. Spilliaert, il est le représentant d’une conception symboliste du paysage. Le sentiment de paix et de mystère qui s’en dégage est servi par une minutie candide, un souci étonnant de demeurer proche de la nature, chaque objet, chaque détail ayant non seulement sa valeur propre mais encore le sens d’un message divin. Sans doute a-t-il été fortement influencé par Albijn Van den Abeele, secrétaire communal de Laethem et du village voisin, qui fut, à ses heures, un paysagiste autodidacte d’une rare finesse. Si Van den Abeele n’a ni la puissance de synthèse de De Saedeleer ni son amour des grands horizons, il rend mieux les nuances de la lumière. Une sorte de fragilité poétise la nature qu’il peint. On entre de plain-pied dans ses sous-bois et ses paysages de neige, souvent de petit format, qui ont le charme de naïves confidences. Une autre source de De Saedeleer n’est autre que Bruegel l’Ancien – on a dit que toute son œuvre était issue des Chasseurs dans la neige . Il travaille lentement, étudiant sa mise en page souvent basée sur la section d’or, cherchant à résumer la structure du paysage, à en exprimer la quiétude et l’ampleur, «à rendre sensible la présence de Dieu sur les collines et les vallées, dans les perspectives mouvantes et les grands ciels de Flandre» (J. Walravens). Sa meilleure période se situe entre 1904 et 1914. Plus tard, de trop nombreuses redites figeront son inspiration.

Karel Van de Woestijne, le poète symboliste, et son frère Gustave se fixent à Laethem en 1899. Tous deux traversent une crise d’exaltation mystique. Gustave peint des compositions allégoriques et religieuses souvent localisées en Flandre, des natures mortes, des portraits. Tout en cédant à des réminiscences nombreuses et diverses, de Van Eyck à Giotto, de Bruegel aux préraphaélites, du vérisme caricatural d’un Otto Dix aux contours fluides d’un Foujita, passant plus tard par le pathétique exacerbé d’un Grünewald, son œuvre baigne dans un climat extrêmement personnel de rêve éveillé. Sa facture est parfois floconneuse, les formes étant brouillées, les couleurs indécises, mais le plus souvent elle se caractérise par une implacable netteté linéaire qui isole chaque forme dans son arabesque. Sur le plan de l’expression, il va de la suavité de l’image pieuse, servie par une stylisation ornementale – Dimanche après-midi (musée de Bruxelles) – à une déformation virulente qui donne au Christ des yeux exorbités dans un visage grimaçant – Le Christ offrant son sang (musée de Bruxelles). C’est le meilleur portraitiste belge de ce siècle. Sa précision lui permet de rendre la ressemblance comme le faisaient les primitifs, mais tous ses personnages, en particulier ses hallucinants visages d’aveugles, ont un regard hors du monde. Il quitte Laethem en 1909. Après un exil au pays de Galles, pendant la guerre, il vit à Louvain, à Waregem, à Bruxelles, exerce les fonctions de directeur de l’académie de Malines et de professeur à l’Institut des beaux-arts d’Anvers et à l’Institut supérieur d’architecture et des arts décoratifs, à Bruxelles.

Comme Minne, Albert Servaes passa à Laethem la plus grande partie de sa vie (1904-1944). Historiquement, le rôle de Servaes est important, car il fut non seulement un précurseur, mais le lien qui unit les deux groupes de Laethem. Lien amical, Servaes, qui a été le compagnon des peintres du deuxième groupe à l’académie de Gand, cohabite successivement à Laethem avec Van den Berghe et avec Van de Woestijne, et fréquente les artistes des deux groupes. Lien stylistique, ses scènes paysannes et religieuses mêlent, dès 1905, les formes les plus extrêmes du symbolisme et de l’expressionnisme, soit environ huit ans avant les premiers essais expressionnistes de Permeke, quinze ans avant que l’expressionnisme ne se cristallise autour de la revue Sélection . Ses premières toiles, très sombres, souvent des nocturnes étrangement éclairés, sont d’un intense mysticisme, malgré leur facture gauche et laborieuse: Servaes «est le peintre du peu d’esprit divin qui transparaît à travers l’opacité du monde» (Haesaerts). En même temps, elles explicitent pour la première fois avec rudesse et violence un des principaux messages de l’expressionnisme flamand: l’union intime de l’homme et du sol. Les Paysans au champ , 1909 (musée de Bruxelles), monstres accroupis dont Permeke se souviendra, semblent modelés dans cette terre brune et lourde qui assure leur subsistance. De 1915 à 1919, Servaes peint les douze panneaux de La Vie des paysans (musée d’Anvers). De 1919 à 1922, il exécute son premier grand Chemin de croix (aujourd’hui à l’abbaye de Koningshove, près de Tilburg, aux Pays-Bas) qui fait scandale à cause de la laideur tragique et de la gesticulation excessive des personnages. On a parlé de mysticisme «sadique». Cette veine d’inspiration fixe les contours de sa personnalité; Servaes peindra plusieurs Chemin de croix et des Christ en croix qui semblent faits d’épines, reniant complètement la sereine dignité de l’iconographie traditionnelle. Quelques grands portraits de moines, au fusain, sont cependant d’une écriture plus calme et plus souple, encore que monumentale. Servaes, qui s’était rallié au nazisme, devra fuir Laethem, par crainte de représailles, en 1944. Il s’installe en Suisse, près de Lucerne, où il mourra. Pendant les vingt dernières années de sa vie, il peint des paysages de montagne et dessine d’innombrables scènes religieuses, fantomatiques et cotonneuses, d’une facture fiévreuse et relâchée.

2. Caractères distinctifs du premier et du second groupe de Laethem

L’empreinte littéraire et philosophique du poète Karel Van de Woestijne, devenu le guide spirituel du premier groupe, est un facteur de cohésion sur le plan des idées et de la sensibilité. Au sein de l’école de peinture belge, Jakob Smits et Laermans ont montré la voie, mais les premiers Laethemois se rejoignent surtout dans leur admiration pour les primitifs flamands qu’ils découvrent à l’exposition de Bruges, en 1902. À travers Jules de Praetere, peintre, dessinateur et typographe, comparse du premier groupe, grand admirateur de William Morris, ils connaîtront les préraphaélites. De ces courants mêlés se dégage un style grave souvent hiératique, versant parfois dans le maniérisme, recherchant davantage les contours purs et précis que le moelleux de la couleur et la richesse de la pâte. Quant aux artistes du second groupe, au moment où le fauvisme français rayonne en Europe, ils ne font pas figure de novateurs, car ils s’abandonnent aux séductions du luminisme sur les traces de Claus, leur voisin. Seul Permeke, marqué par les recherches ornementales du Jugendstil, sous l’influence de Servaes et Gustave De Smet, pose des jalons dans quelques rares œuvres. Mais alors que le premier groupe s’est affirmé comme une unité dans le village même de Laethem, ce n’est qu’après la guerre et en des lieux divers que l’esthétique commune aux artistes du second groupe s’affirme. L’atelier d’art contemporain Sélection, puis la revue du même nom animée par les critiques P. G. Van Hecke et A. de Ridder, seront au centre d’une révolution plastique qui portera l’expressionnisme flamand sur le pavois entre 1925 et 1930. Pour définir ce style, R. Huyghe a parlé d’expressionnisme «physique». Moins crispé, moins morbide que l’expressionnisme germanique, plus terrien, retrempé aux sources de la vie populaire, lié aux éléments, traduisant davantage les sensations que les passions, il se distingue par la massivité des formes, leurs tonalités brunâtres, leur caractère fruste, qui n’exclut ni la sensibilité de la ligne ni la sensualité de la matière.

3. La figure dominante du second groupe: Constant Permeke

Permeke, la plus forte personnalité des deux groupes de Laethem et la clef de voûte de l’expressionnisme flamand est, comme l’affirmait Jean Cassou, une des plus grandes figures de l’art contemporain. Né à Anvers, il a passé sa jeunesse à Ostende. Élève de Jean Delvin, à l’académie de Gand, il y connut Servaes, Van den Berghe et les frères De Smet. Ses débuts à Laethem, vers 1909, sont teintés d’impressionnisme, mais il donne déjà vers 1911-1913 quelques figures audacieusement schématisées, quelques paysages au ciel lourd. En 1912, il retourne à Ostende. Les marins larges et carrés, la mer nue, écrasée par les nuages, seront parmi ses thèmes de prédilection. Gravement blessé pendant la guerre, il est évacué en Angleterre. C’est en exil, dans un complet isolement, qu’il peint son premier chef-d’œuvre, L’Étranger (musée de Bruxelles). Rentré à Ostende en 1919, il renoue avec ses compagnons de Laethem et, encouragé par Van Hecke et de Ridder, il bâtit en quelques années majeures le style à l’emporte-pièce qui affirme sa foi en l’homme, mais aussi son tempérament vigoureux de peintre. Les figures sont robustes et gauches, les attitudes statiques, les visages traités comme des masques, les mains et les pieds énormes et déformés, la composition souvent décentrée. Ces singularités ne visent pas le tragique, comme chez Servaes ou Van de Woestijne, mais la puissance vitale. La Femme au panier (musée d’Anvers), Les Fiancés (musée de Bruxelles), Maternité (musée d’Ostende), Le Mangeur de patates (musée de Bruxelles) appartiennent à une humanité primitive, mais toujours localisable dans un milieu comme dans une région. Quant à La Truie , monumentale et monstrueuse allégorie de la fécondité, c’est un sommet de l’audace expressionniste. La volonté de ne traduire que l’essentiel et d’atteindre par là une grande densité d’émotion se révèle dans La Séparation , 1948 (Jabbeke), œuvre inspirée par la mort de sa femme. À partir de 1929, il peint, dans sa maison de Jabbeke, près de Bruges, devenue musée Permeke, des paysages véritablement cosmiques, qui traduisent l’espace par les seules ressources d’une facture emportée, typiquement expressionniste. Le coloris est sévère et sobre, avec des dominantes de bruns et de noirs pour la période ostendaise, plus clair et moins appuyé à l’époque de Jabbeke, accueillant alors les verts et les jaunes. Lorsqu’il dessine, Permeke choisit souvent une technique intermédiaire, traçant les contours au pinceau sur toile et suggérant le volume par des jus bruns, rehaussés d’un peu de pâte; il mélange volontiers fusain, pastel et craie. De la deuxième période ostendaise datent de grands fusains à écriture heurtée, aux angles très accusés. De 1940 à 1944, il crée de nombreux nus qui, sans rien avoir de la beauté classique, s’inscrivent dans un trait fluide, souvent d’une grande pureté. Depuis 1936, Permeke s’adonne à la sculpture en autodidacte, mais avec la même vocation de monumentalité que dans sa peinture. Il fut extraordinairement fécond: au cours du seul été 1925, il a exécuté trois cents marines. Aussi l’œuvre de ce créateur génial s’alourdit-elle d’une production parfois hâtive et négligée.

4. Frits Van den Berghe et Gustave De Smet

Un peintre intellectuel, fils du bibliothécaire de l’université de Gand, Frits Van den Berghe est l’intellectuel du groupe et la fenêtre ouverte sur le monde extérieur. En 1906, il partage un atelier à Laethem avec Servaes; de 1908 à 1913, il passe l’été au village. Après la guerre, vécue aux Pays-Bas (Amsterdam, Laren et Blaricum), en partie aux côtés du ménage De Smet et du sculpteur J. Cantré, Van den Berghe reviendra encore souvent au bord de la Lys. Comme Gustave De Smet, c’est en Hollande, à partir de 1917, qu’il rompt avec le symbolisme post-impressionniste de ses débuts. Les principaux jalons de la période expressionniste datent des années 1924-1925, après le retour en Belgique: La Vie (musée d’Anvers), L’Éternel Vagabond , La Bonne Auberge , Dimanche après-midi (musée de Bruxelles). Déjà, dans Naissances (musée de Bâle), 1926-1927, apparaissent les caractères fantastiques qui donnent un climat personnel à son œuvre. À partir de 1927, Van den Berghe, comme De Smet, est lié par contrat avec Sélection et Le Centaure , deux galeries bruxelloises qui sont de véritables rendez-vous de l’art moderne, car toute l’avant-garde de l’école de Paris, de Max Ernst à Chagall, de Zadkine à Van Dongen, y défile. Ces contacts et surtout la découverte du surréalisme entraînent Van den Berghe à rompre avec l’esprit rustique de Laethem. Se souvenant des expériences pratiquées en Hollande avec son ami, le docteur De Knop, qui lui avait appris à étudier au microscope la structure des cristaux, des plantes et des cellules vivantes, tirant enseignement des recherches qu’il avait faites avec des couleurs chimiques pour l’impression de papiers de garde, Van den Berghe élabore, vers 1928, une technique très spéciale, qui rappelle parfois les frottages de Max Ernst. Des monstres hybrides, tout un peuple grotesque, mais souvent anxieux et toujours très humain, affleure dans ses toiles. C’est ce que l’on appelle sa période surréaliste. La crise des années 1929-1930, en entraînant la ruine des galeries avec lesquelles Frits travaillait, ramène les difficultés matérielles. Van den Berghe collabore alors à divers journaux flamands comme caricaturiste et comme illustrateur d’une verve et d’une imagination remarquables.

Plus serein que Van den Berghe, moins viril que Permeke, De Smet représente l’esprit classique au sein de la phalange expressionniste. La discipline, le sens de la synthèse, une vie intérieure très dense obligent ce peintre de la rusticité flamande à dépasser la scène de genre que le choix du sujet aurait pu favoriser. La paix des champs dispense pour lui la paix de l’âme. Les paysans placides, vaquant aux travaux saisonniers, se reposant, les mains vides, devant une jatte de café posée sur la table, jouant au vogelpik ou s’exerçant au tir, dans une baraque foraine, prennent dans ses toiles une dignité tranquille. Tous appartiennent au même type humain: visage ovale, marqué par la tache des pommettes, larges yeux en amandes au regard perdu, bouches sensuelles aux lèvres closes, cheveux lisses, immobilité de mannequin. Chaque forme est réduite à un schéma essentiel que des réminiscences d’imagerie populaire parent d’une sorte de candeur. Gustave rejoint à Laethem, en 1908, son frère Léon qui, tout en faisant partie du deuxième groupe, n’abandonnera guère la facture néo-impressionniste et la palette fleurie de ses débuts. Dans cette manière qui fait époque, Léon se fera connaître comme un peintre de scènes d’intérieurs et comme un excellent portraitiste. Quant à Gustave, il maîtrisera sans peine le jeu délicat des teintes pâles et des touches vibrantes et, en 1913, il évolue vers un romantisme décoratif. Pendant la guerre, il se réfugie en Hollande; son fils meurt. Les épreuves, l’influence du Hollandais Jean Sluyters (1881-1957) et du Français Henri Le Fauconnier (1881-1946) ainsi que la découverte de l’expressionnisme allemand l’orientent passagèrement vers une facture chaotique et une palette sombre. En 1922, il revient dans la région de la Lys. La plasticité des formes, l’équilibre de la composition caractérisent les œuvres peintes entre 1923 et 1936: Les Mangeurs de moules (musée d’Anvers), Béatrice (musée de Bruxelles), Les Buveurs de café , Le Peintre et sa femme (musée de Bâle), Le Grand Bal , Méditation , Les Amants . Pendant une courte période (1927-1928), il s’adonne à des scènes mondaines, probablement sous l’influence des galeries Le Centaure et Sélection , déjà citées. Après 1936, son dessin s’assouplit, sa facture se fait moelleuse, l’intimisme l’emporte sur la stylisation expressionniste de ses plus belles années. Dans la gamme sourde qu’il affectionne, Gustave De Smet ne cessera de s’affirmer comme un des plus délicats tonalistes de la peinture flamande.

Laethem-Saint-Martin
(école de) ensemble de peintres flamands établis dans la ville du m. nom (prov. de Flandre-Or.) à la fin du XIX e s. Un premier groupe (V. de Saedeleer, G. Van de Woestejine, A. Servaes et G. Minne) eut une inspiration symboliste. Un second groupe, à partir de 1910 (E. Gevaert, C. Permeke, A. Saverys, G. et L. Smet, J. De Sutter, Van den Berghe) fut expressionniste.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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